Ultra-tradition et audaces décoratives, sur fond de musique lounge. Kaléidoscope d’ambiances...
dimanche 15 novembre 2009, par Arnaud Sperat-Czar
A Londres, la boutique-restaurant de Patricia Michelson dénote un rare talent de la mise en scène au service de produits irréprochables.
Chalet savoyard, salon d’hôtel design, aquarium ? Il y a un peu de tout cela dans la Fromagerie de Patricia Michelson, « magasin concept » situé dans le quartier de Marylebone, dans la partie nord de Londres. L’espace dédié au fromage est certes loin d’être le plus important de la boutique, mais il est sans doute le plus original et le plus appétissant. La « Cheese Room » est protégée par une immense porte vitrée coulissante (qui lui donne donc des allures d’aquarium), pour conserver l’hygrométrie élevée des lieux nécessaire à l’affinage et à la conservation des fromages.
Des fromages, il y en a partout à l’intérieur de cet antre aux dimensions restreintes. Savamment étagés sur une douzaine de niveaux, posés sur des paillons, des planches en bois à peine dégrossies, sur des étagères de bibliothèque de couleur ébène, dans des cagettes ou dans leur toile...
Mauvais temps à Méribel...
Ils sont quasiment tous sont au lait cru, fermiers ou artisanaux, issus d’une sélection très pointue. Ils sont anglais, gallois ou irlandais, bien sûr, mais aussi italiens, français, suisses, allemands, portugais, espagnols et même américains. La Cheese Room est non seulement un magasin, mais aussi une cave d’affinage, à la température très fraîche. Les fromages qui le nécessitent y sont relavés : « Le mont-d’or au vin du jura, le reblochon au chignin-bergeron, le pont l’évêque au cidre, le livarot au calva », énumère Gabriel, ancien crémier dijonnais installé à Londres depuis sept années, qui allait oublier « le soumaintrain au chablis et le munster au gewurztraminer ». L’aventure de la Fromagerie commence dans les années 90, un jour de mauvais temps, lors d’un séjour à la neige à Méribel, lorsque Patricia Michelson, jusqu’alors sans le moindre « background » fromager, est subjuguée par la découverte du beaufort dans une fromagerie d’alpage près de Moutiers. Derechef, elle part à la rencontre du fermier, rentre en Angleterre avec une meule entière du fromage savoyard et improvise une cave d’affinage dans une cabane au fond de son jardin. Les matériaux choisis dans sa fromagerie reflètent fidèlement aujourd’hui ce coup de foudre initial, l’élan fondateur.
Magasin-cave-restaurant
Cette ancienne professionnelle du monde du théâtre, qui ne va pas oublier son sens de la mise en scène, n’est désormais plus animée que par le « désir profond de découvrir et faire découvrir la vraie vérité du terroir, les producteurs de fromages fermiers et d’introduire à Londres les meilleurs fromages de fabrication artisanale. »
Elle crée d’abord un étal de fromages français dans Camden Market, très grand marché londonien. Puis, en septembre 1992, elle lance une petite boutique sans comptoir, dans le nord de Londres, où sa première Cheese Room voit le jour. Cette boutique existe toujours.
C’est en novembre 2002, qu’elle ouvre l’établissement de Moxon Street, « magasin-cave-restaurant », où travaillent une cinquantaine de salariés, dans une ambiance tout-à-fait particulière.
Car la Fromagerie, c’est aussi la musique lounge qui accueille les consommateurs et semble les plonger dans l’ambiance d’un bar branché. Ce sont aussi ces quelques clients matinaux qui prennent leur café en bouquinant. Ce sont toutes ces audaces décoratives, comme ce mur rempli de bouteilles de vin allongées dans des casiers en bois clair, qui font du lieu un kaléidoscope d’ambiances. L’offre très diverse, presque baroque, évoque les Delicatessen : des fruits et légumes de saison, un rayon de pains et gâteaux frais cuits sur place, des produits « well sourced » (chocolats, condiments, huiles d’olive ...), des confitures et des chutneys maison, une cuisine ouverte proposant des salades, soupes et plats de saison. Le tout à emporter ou à déguster sur place dans le « tasting café », organisé autour d’une longue table en bois très conviviale autour de laquelle se pressent et communiquent les clients.
La « célébration du fromage traditionnel de qualité », profession de foi de Patricia, repose sur une politique d’achats directs. L’entreprise dispose ainsi d’une plate-forme à Rungis où sont acheminés les produits sélectionnés, qui l’alimente deux fois par semaine, et d’un système similaire en Italie. Il faut bien ce rythme, la rotation est rapide : quelque 1 500 monts-d’or vendus à Noël !
L’établissement organise des événements pour sa clientèle de particuliers et de professionnels : des dégustations sur le thème d’accords champagnes et fromages, whiskies et fromages ou bières et fromages, des soirées vin-fromage avec des fromages régionaux et des vins choisis avec soin (par exemple, 6 vins et une sélection de fromages pour chaque vin) ou encore des soirées dégustation avec la collaboration de producteurs, d’écrivains ou de chefs.
Patricia Michelson se rend régulièrement au quatre coins du globe pour débusquer des saveurs nouvelles : elle prépare un voyage au Japon et en Chine où, assure-t-elle, « on assiste à l’émergence de la production de fromages fermiers ». Leur évocation alimentera sans doute les pages de son prochain ouvrage, annoncé pour avril 2010.
• Un Cheddar Montgomery de 16 mois
• Un Berkswell, fromage de brebis dont la forme et la croûte évoquent… une passoire.
« Il y a 30 ans, la productrice des Midlands qui l’a créé n’ayant pas de moule, a utilisé la passoire de sa cuisine. »
• Un Ardrahan, fromager irlandais de vache à croûte lavée.
• Un Wigmore, brebis à croûte lavée, produit dans les environs d’Oxford.
• Un Stichelton (cousin du stilton, au lait cru).