« Ce qu’il faut, c’est que les fromages interpellent et puissent se déguster facilement. »
dimanche 15 novembre 2009, par Florence Boulenger
Détaillante à Paris, Martine Dubois excelle dans l’art de mettre en scène les fromages.
Des papillotes de beurre à la truffe fraîche, une crème maison à l’aneth, des sushis au fromage assortis d’un laquage au gingembre ? Elle sait faire. Mieux, elle invente ces recettes au fil des jours. Installée dans le 17e arrondissement (« la rue de Tocqueville, j’y ai toujours vécu, toujours travaillé, c’est mon village »), Martine Dubois, qui aime les mots, se définit comme une « marchande de fromage ». « Quand j’étais petite, déjà, je voulais être marchande. Les reportages consacrés aux anciens comptoirs me fascinaient, et notamment l’idée de recevoir d’ailleurs des produits précieux, inhabituels, exotiques. A ma façon, je réalise ce rêve, en essayant de dénicher dans tous les coins de France des fromages rares... »
Mais Martine est aussi mère de famille et cordon bleu. Ce qui aboutit, en magasin, à ce choix généreux de fantaisies culinaires, à base de fromage, mais aussi de fleurs comestibles (capucines, pensées, orchidées...) ou de vaisselle ancienne ! On est très loin des seules verrines, à la mode ces dernières années.
Accords parfaits, découpes au millimètre ou préparations sophistiquées, l’idée n’est pas venue comme ça, brusquement, elle s’est imposée au gré de plateaux confectionnés sur mesure (pour des soirées privées, des comédiens, des hommes politiques, des monarques...) et de buffets pimpants, réflétant le caractère de la « marchande » : « Je renie le terme “ traiteur ” : ça fait penser à de grandes gamelles, à de gros camions... même si certains traiteurs sont sublimes ! Moi, j’ose des assemblages, je trouve des solutions pour que les fromages se fassent une place sur des buffets où, parfois, il n’y a même pas un couteau. Ce qu’il faut, c’est qu’ils interpellent et puissent se déguster facilement. Longtemps, les fromages ont été tenus à distance lors des buffets, en raison de leur odeur. Maintenant, grâce aux astuces de découpe et à l’art de les présenter, les choses progressent. Je pense que c’est le visuel (les découpes géométriques ou inhabituelles des fromages de tradition) qui donne aux convives l’impulsion de goûter et après, ils se hasardent à découvrir les assemblages plus “ modernes”. D’ou l’intérêt de présenter au moins ces deux possibilités offertes par les fromages. Il nous arrive aussi de les allier à un buffet classique de fromages complètement traditionnels. Les trois formules peuvent s’additionner sans se faire ombrage ! »
La mère et la grand-mère de Martine étaient très à l’aise derrière les fourneaux, son plus jeune fils est devenu cuisinier. Rue de Tocqueville, elle concilie sa passion du fromage à son goût de la scène : « La boutique, c’est comme un théâtre. Le moment que je préfère, c’est le petit matin, en coulisses, avant le lever du rideau. On ne sait pas encore à quoi ressemblera notre public du jour. Dans le magasin, c’est toute la société qui défile, les accents, les habitudes, les couples qui se font et se défont... » Entourée de huit collaborateurs, elle a fait de sa petite boutique une véritable ruche : « Depuis dix ans, je suis chez moi, j’ai acquis ma légitimité. Ça n’allait pas de soi, le monde du fromage étant parfois machiste. Je me suis sentie étouffer, de temps à autre, mais j’ai tenu bon et aujourd’hui, j’ai fait taire les plus suspicieux. J’ai commencé par ce qui ne se voyait pas : des travaux en caves, avant d’engager des travaux en boutique : une porte automatique pour avoir moins froid et pour que les fromages souffrent moins. » Et s’il fallait ne choisir qu’un seul fromage, à emmener précieusement sur une île déserte ? Après de cruelles hésitations, ce serait l’époisses : « Le seul problème, c’est que je suis incapable, une fois goûté, de l’abandonner sans le terminer ! »
Sa toute dernière invention illustre sa créativité sans limite : un Rubik’s Cube à base de pains (maïs, seigle, curry...) et de fromages (saint-félicien à la truffe, chèvre ciboulettes, crème de mascarpone aux tomates confites, Philadelphia aux raisins secs) !