lundi 11 octobre 2010, par Arnaud Sperat-Czar
Une boutique étonnante, tout en transparences, au cœur d’Annecy.
Une vue plongeante, aussi qu’improbable qu’imprenable : en plein centre-ville d’Annecy, Pierre Gay invite les clients de son magasin à baisser les yeux. Un plancher transparent permet de contempler les fromages à l’affinage, grâce à une belle dalle vitrée de 3 mètres sur 1,5, en verre blindé, épaisse de 6 cm. Approchant la demi-tonne, elle est équipée d’une résistance électrique anti-condensation pour éviter toute glissade malvenue.
Sens dessus dessous
« L’idée me trottait dans la tête depuis longtemps, explique le fromager, mon architecte m’a aidé à sauter le pas ». Bien plus qu’une fantaisie, cette innovation est une façon directe de montrer, sans grand discours, les arcanes de son métier et son savoir-faire.
« Cela nous a forcé à travailler avec encore plus de rigueur qu’avant. La présentation doit toujours être au top, même dans la cave », explique l’alerte Savoyard, âgé de 45 ans, qui n’a pas hésité à mettre son magasin sens dessus dessous, en 2006, pour s’offrir ce luxe : « On a cassé la dalle de l’entrée du magasin jusqu’aux bureaux du fond, sur 30 mètres », se rappelle-t-il.
Du coup, la surface de vente a doublé et les retombées ont été rapides, boostant régulièrement le chiffre d’affaires. « Nous travaillons notamment désormais avec l’office du tourisme qui nous envoie des groupes de 25 personnes de manière régulière pour des dégustations pain-vin-fromages ».
L’espace vitré est situé tout au fond du magasin dans une pièce, aux boiseries très étudiées, dédiée aux vins – « les passants de notre rue piétonne ne s’en rendent pas forcément compte, je songe à mettre un écran télé en vitrine pour attirer leur attention sur ce point ». Car l’homme raffole du vin, des vins bios en particuliers, qui constituent près du tiers de son offre. « Nous proposons de bonnes bouteilles, pas de grandes bouteilles, beaucoup à moins de 10 euros. »
Les vins savoyards se taillent la part du lion avec une trentaine de bouteilles. Avec une prédilection pour celles des frères Giachino - « On vient de faire rentrer leur persan rouge, un vieux cépage originel savoyard qui avait failli disparaître, assez léger et bien coloré, à mi-chemin entre pinot noir et mondeuse ». Le Jura – il est ambassadeur du pays du Comté – jouit aussi d’une belle gamme, dont le Clos des Grives, désormais propriété de la maison d’affinage de comté, Marcel Petite.
Les fromages, parlons-en ! Le volubile et affable Pierre est intarissable sur le sujet, mêlant l’émotion du goûteur à la rigueur de connaissances techniques approfondies acquises sur les bancs de l’Ecole nationale d’industrie laitière (ENIL) d’Aurillac. Les Savoies sont naturellement à l’honneur avec une quinzaine de tommes (« toutes différentes par leur terroir, leur mode d’affinage, leur taux de matières grasses » ), plusieurs persillés (de la Tarentaise, des Aravis, de Tignes, bleu de Termignon…) et de majestueux beauforts et abondances fermiers d’alpage, qu’il va chercher directement chez les producteurs. Pour les produits extrarégionaux, il s’appuie sur ses confrères du Cercle des fromagers affineurs.
Lignée familiale
Comme la cave à vins, l’espace fromages joue les transparences : le fromager a fait reconstituer dans son magasin la devanture d’un chalet avec de grandes baies vitrées blanches rétroéclairées. La mise en scène, c’est son dada. Un talent qu’il a mis en pratique chez l’un des restaurateurs qu’il livre régulièrement, le talentueux Laurent Petit, du Clos des Sens (deux étoiles Michelin), en l’aidant à concevoir un plateau tout en longueur, pliable pour entrer dans l’ascenseur !
C’est l’une des facettes de son métier qu’il espère valoriser lors des épreuves du concours des Meilleurs Ouvriers de France. Engagé dans la phase de préselection, il vient d’être retenu pour la finale de l’édition 2011. « Si je décroche cet honneur, annonce-t-il, ce sera un nouveau départ, pas une fin en soi ».
Ce sera en tout cas une consécration pour la lignée de fromagers qu’il incarne : son grand-père avait ouvert la boutique, ici-même, en 1935. « C’était à l’époque une rue déjà très alimentaire, mais aussi très ouvrière avec deux sorties d’usines à proximité : à midi, 2 000 femmes déboulaient dans la rue et venaient faire leurs provisions ». Le grand père, Alexis, recevait chaque jour 2000 litres de lait, qu’il livrait ou transformait en yaourts, fromages blancs, cœurs à la crème, Fontainebleau... « Il avait alors reçu la visite d’une toute jeune société très intéressée par ce marché et curieuse de sa réussite, la Société parisienne du yoghourt Danone… » Le petit-fils fabrique toujours des yaourts et faisselles, mais aussi, goût du jour oblige, des tiramisus.
Lundi 10h à 12h et de 14h à 18h
Du mardi au jeudi 8h à 12h 30 et de 15h à 19h
Vendredi Samedi 8h à 12 h 30 et de 14h 30 à 19h