vendredi 15 novembre 2013, par Arnaud Sperat-Czar
Bienvenue à la Fruitière des Jarrons, à Ville-du-Pont, dans le Doubs, une petite coopérative qui fabrique du comté (80 tonnes) la moitié de l’année, du 15 mars au 15 août, et du mont-d’or (150 tonnes) l’autre moitié..
Nous sommes en novembre, en pleine période de pointe de la fabrication : les fêtes approchent et le mont-d’or (dit aussi « vacherin du haut-Doubs ») est par essence un fromage de Noël. La fruitière, à cette période, sort quelque 2200 à 2300 boîtes par jour. C’est le fromager, René Boissenin (2e à gauche sur la photo), 59 ans, qui dirige la manœuvre, comme il le fait ici, imperturbablement depuis 25 ans.
Entouré de 10 employés et de son épouse, l’énergique et sémillant fromager s’autorise un petit point d’histoire : « Le vacherin n’était fabriqué initialement qu’en hiver, en fin de lactation, quand il ne restait plus assez de lait pour faire du comté, plus assez non plus pour faire du morbier. C’était le troisième larron. Il était directement moulé dans la sangle, qui lui donnait également son goût. »
La fruitière va transformer, le jour de notre venue, 8 cuves de 900 litres, sur un tempo parfaitement réglé, qui ne laisse aucune place à l’improvisation. Une cuve donne soit 300 petits mont d’or (500 g), soit 220 moyens (1,3 kg), soit 50 gros (3 kg maxi). La fruitière collecte le lait de 6 éleveurs, soit environ 260 vaches au total, installés dans un très court rayon de 25 km. Elle transforme ainsi 1,6 million de litres par an. Le camion fait sa tournée après la traite du soir et amène le lait à la fruitière vers minuit.
Au petit matin, le lait, conservé à 4 degrés, est remonté à une température de 38 degrés, grâce à un réchauffeur à eau chaude. Le fromager ajoute dans la cuve un mélange de ferments lactiques qui vont commencer à « faire travailler » et s’acidifier le lait. Au bout de 20 minutes, il ajoute de la présure (photo), qui va permettre la coagulation du lait.
Puis intervient, au bout de 25 minutes, le décaillage : une grande lyre permet de découper la masse homogène du caillé en cubes de 2 cm sur 1,5 cm.
Il s’agit désormais de brasser la cuve, à la main avec une grande pelle, pour favoriser le « coiffage du grain » : « une fine pellicule hermétique se forme autour de chaque grain, raconte René Boissenin, elle permet de conserver de l’humidité, alors que pour le comté, fromage de garde, on cherche au contraire à rendre le grain le plus sec possible, en découpant le caillé plus finement, en brassant plus et en chauffant à plus de 50 degrés ».
Le fromager vérifie régulièrement l’état des grains : « Ils doivent avoir durci et présenter un aspect brillant », poursuit-il.
Au moment jugé opportun, le caillé est déversé sur des blocs répartiteurs.
Ce procédé pemet de remplir les moules rapidement.
Le petit-lait est pompé par étapes.
Dans la cuve, le niveau baisse. Le fromager rassemble les grains de caillé pour une nouvelle "fournée".
Un léger pressage est effectué pour accentuer l’égouttage. Les fromages sont recouverts d’une plaque de métal munie d’un ressort : l’empilement des claies contribue au pressage. Les fromages restent 15 à 30 minutes maximum dans leur moule.
Vient alors l’étape très spécifique du sanglage. La fruitière consomme chaque saison 200 km de sangles d’épicéa, la partie tendre située sous l’écorce. « Les nôtres viennent de Vaux et Chantegrue, précise le fromager. C’est un ancien bûcheron, Patrick Salvi, qui les récolte et les taille pendant l’été, puis réalise pour nous les boîtes pendant l’hiver. »
Les sangles sont vinaigrées et ébouillantées avant utilisation.
Les fromages sanglés sont ensuite dirigés vers un bain de saumure, pour une plongée expresse de 20 minutes maximun. « C’est de l’eau de mer, plaisante René : la densité de la saumure atteint 1 200 ».
Puis direction le sous-sol, vers les caves d’affinage. Les fromages sont d’abord posés sur planches d’épicéa...
… puis frottés avec de l’eau très légèrement salée et retournés, tous les jours, pendant près de deux semaines.
A ce stade, le fromage est prêt à être « emboîté ». « On fabrique toujours des fromages plus gros que le diamètre de la boîte pour faire plisser la surface du fromage et éviter qu’un espace ne se forme entre elle et la sangle : il favoriserait le développement de moisissures. »
Encore une douzaine de jours en cave froide (8 degrés) pour parfaire l’affinage et le fromage sera prêt à sortir de la fruitière pour être consommé !