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  • 1er janvier 2020 : la Normande devra représentée la moitié du troupeau.
  • Statue Vimoutiers de Marie Harel, la « créatrice » du camembert.

Après la bataille du lait cru, la reconquête du terroir !

lundi 8 juin 2009, par Arnaud Sperat-Czar

Le lait cru sauvegardé à l’issue d’une âpre bataille, le camembert de Normandie AOC s’engage désormais dans un ambitieux programme de recentrage sur son terroir.

Ils se sont battus âprement, à coup d’insinuations et d’anathèmes. Dans le secret des réunions syndicales, ils se sont accusés de « mensonge », de « tromperie », « d’hypocrisie ». Ils ont mobilisé les médias et les édiles, ici pour « préserver la tradition », là pour « défendre la sécurité du consommateur ». Avec des accents de paysans madrés, ils ont mêlé dans leurs propos élans de sincérité et mauvaise foi.
Mais aujourd’hui, à défaut d’être réconciliés, les 8 fabricants de camembert de Normandie AOC regardent tous à nouveau dans la même direction, contraints et forcés par les intérêts supérieurs de l’Appellation. Et cet horizon promet un fromage au caractère accru et aux racines plus profondément enfouies dans son terroir : « normandisation » du troupeau, recentrage de la zone AOC autour de la Normandie herbagère, limitation de l’ensilage… Parallèlement, les efforts déployés en termes d’analyses (PCR notamment) contribuent à améliorer la sécurité sanitaire de la filière et à sécuriser le lait cru.

Marie Harel, à qui la légende attribue la création du fameux fromage aux alentours de 1791, et dont la statue trône fièrement à Vimoutiers, à quelques kilomètres du village de Camembert où elle officiait, approuverait sans doute. Emblème des fromages français, sans doute l’un des plus populaires et plus imités au monde, le camembert n’est pas un fromage comme les autres. Sa version « haut de gamme », celle qui bénéficie d’une appellation d’origine contrôlée sous le nom de « Camembert de Normandie » depuis 1983 déchaîne régulièrement les passions. On ne touche pas impunément à un symbole national.

Le camembert : un symbole national

Aussi, lorsque fin 2007, la coopérative Isigny Sainte-Mère et le groupe Lactalis, les deux principaux fabricants de la filière, représentant à eux seuls les trois quarts du volume de l’AOC, ont demandé que le camembert de Normandie ne soit plus forcément fabriqué au lait cru, la nouvelle a fait l’effet d’un pavé dans la bassine. Argument avancé : « le risque sanitaire inhérent au lait cru ». Et de retirer sur le champ les logos AOC de leurs produits (marques Lanquetot et Lepetit pour Lactalis) et demander à l’Institut national des appellations d’origine (INAO) de modifier en conséquence le cahier des charges de l’AOC.

S’engage alors sur la place publique un long bras de fer entre les « cinq petits », qui tiennent absolument à conserver le 100% lait cru, et les « deux grands ». Dans cette campagne normande, où l’herbe pousse plus facilement qu’ailleurs, le bocage et ses multiples haies semblent avoir façonné les esprits : la filière est cloisonnée, avec ses terroirs concurrents (Pays d’auge, Cotentin, Bessin, Suisse normande…), ses clivages économiques (du petit producteur fermier au leader mondial), ses différences d’ambitions, les intérêts parfois contradictoires des paysans qui livrent leur lait et de ceux qui le transforment…

En février 2008, la situation se débloque en faveur du lait cru, après un vote interne du syndicat AOC qui fait pencher, contre tous pronostics, la balance : certains producteurs de lait n’ont pas suivi la position de leur collecteur. L’Inao, qui n’osait plus croire à cette issue, valide la décision le 4 juin 2008 (parution au JO du 18 septembre), en même temps que la révision complète du cahier des charges de l’AOC. Le lait cru reste obligatoire ! Bilan : l’Appellation a perdu 75% de ses volumes. Aujourd’hui, le tonnage est remonté à 50%.

Foin du passé, toute la filière tient désormais à clore le débat et indique d’une voix unie que le camembert AOC est sorti gagnant de l’affaire.

« La position “ traditionnelle ” de notre AOC a été renforcée, les consommateurs et la grande distribution se sont prononcés en faveur du lait cru, et la presse a parlé de notre AOC de façon plutôt positive, indique Laurent Fléchard (Laiterie Gillot). Au sein de la filière, l’ambiance s’est détendue, et l’on a arrêté d’organiser des réunions tous les quinze jours ! »

« La bataille du lait cru a eu de bonnes conséquences dans la mesure où les consommateurs ont été sensibilisés à un problème auquel ils s’intéressent trop rarement d’ordinaire », confirme François Durand, l’unique producteur fermier de camembert AOC. « Notre filière s’est-elle ressoudée ? Je dirais en tout cas que l’AOC a conservé ses points forts et qu’actuellement tout le monde œuvre en faveur de la qualité du lait cru », avance Thierry Graindorge (Fromagerie Graindorge). Et en effet, le nouveau cahier des charges du camembert a engagé la filière dans une réforme en profondeur de la production du lait, avec des choix importants en matière de races laitières et d’alimentation des troupeaux.

La zone AOC a subi une vraie cure d’amaigrissement

Le décret de 1983 qui régissait jusqu’alors l’appellation n’avait encore jamais été modifié et n’abordait pas ces aspects. Cette fois, le programme est ambitieux. Tout d’abord, le nouveau cahier des charges a validé la cure d’amaigrissement de l’aire géographique, réduite de moitié et désormais centrée sur les bassins bocagers et herbagers, soit les trois départements de Basse-Normandie (Calvados, Manche et Orne), ainsi que la frange occidentale du département de l’Eure.

Le berceau du camembert, c’est le Pays d’Auge, une zone de prairie naturelle, qui ne connaît pas de « déficit hydrique en été » : comprendre, où il pleut beaucoup !
Cette région de bocages ouverts sur la mer, entourés de plaines (celles de Caen, d’Argentan et de Lieuvin), est célèbre pour l’association de l’herbe et de la pomme à cidre, qui a donné l’image bucolique que l’on connaît. Une raison technique à cela, cependant : le pommier consomme les excès d’azote qui rendent l’herbe trop riche et le lait moins bon.

Les prairies humides, par définition, limitent la charge de vaches laitières. La zone est sillonnée de sources à fleur de terre créant des « vallées » : vallées de la Touque, de la Callonne, de l’Orbiquet, de la Dives… Chaque rivière a creusé une « auge » au milieu des collines. Les fromageries ont eu tendance à s’implanter le long de ces rivières.

Ensuite, la filière entame un retour à la race Normande. Depuis 2001, les « Noires » (Holstein) et leurs rendements imbattables étaient devenues plus nombreuses que les Normandes dans leur fief de Basse-Normandie. A partir du 1er janvier 2020, les exploitations laitières devront comporter au moins 50% de leur effectif de vaches laitières en vaches de race pure Normande. Le décret AOC rappelle que « la race normande dispose d’aptitudes fromagères exceptionnelles. Elle présente le lait à la teneur en matières protéiques la plus importante de toutes les races laitières françaises. Elle présente également une fréquence des combinaisons de certains variants génétiques des caséines du lait les plus favorables à la coagulation du lait très supérieure à celle observée dans les autres races (Grosclaude, 1988). Le lait issu de ces animaux est caractérisé par un rendement fromager supérieur, une vitesse de coagulation plus élevée, un temps de raffermissement du gel plus rapide (Vassal, 1991). Enfin, cette race occupe une place majeure dans le paysage régional. »

Au sein de la filière, la normandisation des troupeaux est plus ou moins avancée. Certains, qui ne fabriquent pas uniquement du camembert de Normandie, sont déjà « dans les clous », grâce à une réorganisation de leur collecte. C’est le cas de Laurent Fléchard (camembert Gillot) : « Nous collectons pour l’ensemble de l’entreprise le lait de 350 producteurs. Certains, qui élèvent des Normandes, mais dont le lait était jusqu’à présent affecté à la fabrication de beurre, vont entrer dans la démarche AOC. » Ou de Luc Le Sénécal (Isigny Sainte-Mère) : « Nous avons un potentiel de collecte de plus de 600 fermes. Nous avons donc pu sélectionner une quarantaine de fermes qui appliqueront facilement les nouvelles exigences en matière de normandisation et d’alimentation des troupeaux. »

D’autres, comme Thierry Graindorge, ont amorcé le processus de normandisation depuis plusieurs années et ne sont donc pas inquiets. « Nous versions des primes de normandisation à nos producteurs de lait depuis six ans. Ainsi que des primes pour la pondération du lait sur l’année, l’absence d’OGM et les laits sans ensilage, désormais ré-introduits dans le cahier des charges. » La fromagerie Graindorge fabrique également du livarot, une AOC qui a opté pour 100% de Normandes à l’horizon 2017, devenant la première AOC française au lait de vache liée à une seule race. Chez Bernard Leroux, on est « déjà à 80% de Normandes, et on ira au-delà ».

La normandisation a bien sûr un coût : les fromageries aident leurs producteurs de lait, mais chacune est libre de décider du montant de cette aide. En conséquence, personne ne veut donner de chiffres. À l’exception de Laurent Fléchard : « Cela représente pour nous plusieurs centaines de milliers d’euros en plus par an. »
Pour le consommateur… comme pour le professionnel, bien difficile en revanche de deviner au goût quel fromage à été fabriqué à partir du lait de « Noires » ou de Normandes. La mesure est surtout destinée à renforcer la notion d’origine chère à l’AOC. Plus décisif pour la qualité sensorielle du fromage, le « retour à l’herbe » se fera aussi par étapes. Depuis le nouveau décret, le pâturage est obligatoire pendant six mois de l’année, avec mise à disposition de foin chaque jour pendant le reste de l’année.

De plus, à partir du 1er janvier 2010, chaque ferme devra compter au minimum 0,33 hectare de surface en herbe par vache laitière, dont au moins 0,25 hectare en herbe pâturable accessible depuis les locaux de traite.

Il faut également compter 2 hectares de prairie par hectare de maïs d’ensilage utilisé pour l’alimentation des animaux du troupeau. Enfin, la ration de base du troupeau doit provenir à 80% de la ferme. Conclusion : l’ensilage n’est pas interdit, mais de fait très limité.

Comme l’indique en substance le décret AOC, en Normandie, il pleut beaucoup, il y a de l’herbe, on peut donc parvenir à ces résultats.
En pratique, les avis sont partagés quant à la difficulté de l’opération. « Par ici, l’herbe pousse toute seule ! s’exclame Bernard Leroux (Fromagerie du Val de Sienne). Mes rares producteurs de lait qui font encore un peu de maïs sont déjà en train de me dire qu’ils vont arrêter. Ça va dans le bon sens, sans forcer. Et nous sommes entourés de bocages : le pâturage n’est pas un problème. »

Pour François Durand, « la normandisation, ça va aller. Là où ça coince un peu, c’est sur le volet alimentation. Il y a trois ans, j’avais arrêté complètement l’ensilage, j’étais passé en ration sèche. Je donnais 10 à 12 kilos de foin par jour et par vache, contre 2 à 3 kilos à l’époque de l’ensilage. Et maintenant, pour ne pas excéder le niveau de concentrés autorisés (1 800 kilos), je dois revenir partiellement en ensilage. C’est paradoxal ! Le public que nous recevons à la ferme s’en étonne. L’idéal serait d’avoir un séchage en grange, pour récolter l’herbe jeune, mais ici nous pouvons rarement faire les foins avant juin. Fournir du foin chaque jour n’est pas compliqué, le problème, c’est la qualité du foin. »

En parallèle, ces derniers mois, plusieurs intervenants de la filière ont commencé à s’intéresser à la méthode d’analyse dite « PCR » qui permet d’obtenir des résultats sur la qualité microbiologique du lait avant la mise en fabrication, parfois en moins de 24 h. Cependant, la plupart des Normands interrogés sur la PCR optent pour de véritables réponses… de Normands. Deux raisons à leur embarras : la volonté de ne pas rallumer l’incendie (le lait est-il plus sûr aujourd’hui qu’il y a un an et demi ?) et surtout le fait que la PCR n’est pas encore en mesure de détecter tous les pathogènes, contrairement à ce que l’on entend parfois.

Pour mémoire, la méthode de Polymerase Chain Reaction permet de rechercher certains pathogènes dans le fromage ou dans le lait, par l’extraction puis la multiplication de l’ADN de la bactérie recherchée. « Encore au stade expérimental il y a deux ou trois ans, elle est maintenant utilisée dans bon nombre de laboratoires, et même directement par les transformateurs, certaines sociétés ayant développé des kits “ prêts à l’emploi ” pour réaliser les analyses soi-même », indiquait Emmanuel Jamet, responsable du pôle microbiologie d’intérêt laitier chez Actilait, dans le magazine « Profession Fromager » (n°36, daté de mars-avril 2009).

La coopérative Isigny Sainte-Mère, notamment, s’est équipée d’un système d’analyse PCR (Eppendorf) et le présente comme l’un des arguments majeurs de son retour au lait cru. La fromagerie Graindorge teste actuellement ces méthodes dans son laboratoire, tout comme la laiterie Gillot. La fromagerie Réaux, elle, a choisi la méthode PCR dès décembre 2005 et l’a confiée à un laboratoire (AQMC à Montpellier). Pour mémoire, en décembre 2005, la fromagerie Réaux avait souffert d’une attaque d’Escherichia Coli O 26, une souche pathogène d’E-Coli, beaucoup plus rare que O 157 H7. Or, il n’existe pas de méthode d’analyse Afnor pour repérer O 26, et sa présence ne coïncide pas forcément avec un nombre élevée d’E-Coli. À noter que E-Coli O 26 résiste aussi à la thermisation : seule la pasteurisation peut la détruire.

« La recherche de Listeria monocytogenes par PCR est accréditée Afnor, ainsi que celle de salmonelles. Pour les E-Coli entéropathogènes (STEC), la situation est plus compliquée, reprend Emmanuel Jamet. Des méthodes moléculaires pour repérer O 157 : H7 ont été validées Afnor en 2008, mais pas encore pour les autres sérotypes comme O 26 ou O 145 qui sont toujours en cours de développement. Il faudra encore attendre quelques années. »

La fromagerie Réaux a mis sur pied un protocole de recherche avec l’école vétérinaire de Lyon. « Nous recherchons tous les jours l’ensemble des STEC (dont O 26), à trois niveaux : sur le lait de chaque producteur, sur le lait maturé, et sur les fromages », indique Marc Brunet.

Quant à la PCR, côté budget, les kits disponibles pour la détection « maison » des microorganismes pathogènes (ou d’altération) peuvent s’avérer assez onéreux (10 000 à 30 000 euros), car il faut acheter l’équipement initial puis les consommables en fonction du nombre d’analyses réalisées.

Jean-Yves Dolidon (Compagnons Fromagers, antenne dédiée au réseau traditionnel du groupe Lactalis,) « ne souhaite pas entrer dans le détail des méthodes utilisées. »
Divisée mais forte de ces nouvelles bases, la filière se sent paradoxalement plus solide. Les partisans du lait cru voient leur détermination renforcée par le retour à l’AOC de la coopérative d’Isigny, qui avait opté pour la microfiltration, et qui a relancé début 2009 une fabrication au lait cru (10% de sa production totale). En même temps, Lactalis, qui avait poursuivi la fabrication de deux camemberts au lait cru sous AOC (Jort et Carel), s’est mis à produire un camembert au lait cru sous marque distributeur pour une grande enseigne de la distribution (Leclerc). En mai 2009, après être revenu dans la filière AOC, Isigny a lancé un « tout nouveau camembert au lait cru », baptisé « Excellence » : lait cru, moulage « en plusieurs fois », affinage de quatre semaines… mais pas de logo AOC. Cette fois, c’est le lait cru que la coopérative met en avant, en se passant même du logo AOC !

Tradition renforcée ? L’historien se méfie de ces termes. A l’échelle des deux siècles d’Histoire qui l’ont précédée, la dernière « bataille de Normandie » prend un relief différent. Car de quelle tradition parle-t-on ? Le camembert d’aujourd’hui est bien loin du modèle qui a présidé à sa naissance : lait cru du soir prématuré mélangé au lait chaud du matin, moulage à la louche d’un caillé qu’on osait à peine sabrer, fabrication sur 2 jours… En ce temps lent, les vaches produisaient quelques litres par traite (et non plus une vingtaine), ne se rassasiaient pas d’ensilage ou d’herbe issue de prairies uniformes de Ray grass et les laits n’étaient pas aussi pauvres qu’aujourd’hui. Nul besoin, à l’époque, de les réensemencer. Quant au Pénicillium camemberti, il n’avait pas encore été détrôné par le Geotrichum, plus fin et moins rustique et le produit était de caractère plus lactique qu’aujourd’hui…

Ce fromage-là était-il plus fameux que celui que l’on déguste aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr. Il y a une dizaine d’années, le jeune retraité Daniel Courtonne, dont le « Sainte-Foy de Montgomery » ravissait les papilles du général de Gaulle, se plaignait du « manque de caractère et de l’uniformisation de la production ».
De dégustations en dégustations, le charme est toujours aussi puissant : les 8 producteurs actuels proposent, sans exception, des fromages qui font honneur à l’Appellation, replets comme les pâturages normands, aux accents délicieusement aillés et soufrés lorsque le duvet blanc de Penicillium commence à se strier de rouge… La voie tracée par le nouveau cahier des charges devrait conforter ces qualités-là.

Plus de Normandes, plus de foin, plus de sécurité. Et une zone réduite de moitié.

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