• Reportages en
    direct des terroirs
  • L’encyclopédie
    des fromages
  • Un fromager
    près de chez soi
  • Recettes
    au fromage
  • La revue
    des blogs
  • Les sites
    qu’on aime
  • Derrière
    l’étiquette
  • Alliances vins
    et fromages
  • Photos insolites
    et énigmes
  • Coups de cœur


accès facebook SoCheese
sur Facebook
accès facebook Facebook
in english
accès facebook Facebook
em português

S’inscrire
à la newsletter

  • Le fromager Jacob Lehmann s'apprête à cesser le lait cru.
  • Destruction de 300 pièces à la fromagerie Lehmann.
  • Ronald Alary : « on est jugé comme des criminels ».
  • Contrôle impromptu d'inspecteurs du Mapaq chez les Fromagiers.
  • Suzanne Dufresnes, la présidente du Comité lait cru.
  • Les Fromagiers de la Table Ronde, l'un des ateliers incriminés.
  • Benoît Carbonneau a été le premier à voir son comptoir vidé.
  • Le « nez de la résistance » conçu par Max Dubois.

Le Québec dans la tourmente

vendredi 6 février 2009, par Arnaud Sperat-Czar

Les fromagers québécois ont vécu, à la rentrée, un scénario cauchemardesque : la destruction totale de leurs étals. Pour une introuvable souche de Listeria. La jeune filière fromagère artisanale locale se relèvera-t-elle ?

6 septembre, le samedi noir où tout a basculé :

« On aurait dit la Gestapo » : Max Dubois ne décolère pas. Comme 300 points de vente au Québec, le 6 septembre dernier, son magasin, « L’Echoppe des Fromages », a été vidé, les fromages jetés dans des containers et aspergés de javel. Installé à Saint-Lambert, dans la banlieue sud de Montréal, de l’autre côté du Saint-Laurent, le détaillant (« fromager marchand » en termes québécois), parle de « razzia ». 20 000 dollars canadiens (environ 13 000 euros) de marchandises ont été détruits. Seuls ont échappé à la destruction, grâce à l’horaire devenu tardif, les fromages fermiers, affinés à part dans une petite cave voûtée.

Quelque 274 inspecteurs du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (Mapaq) ont ainsi écumé des points de vente dans toute la Belle Province : fromageries de détail, épiceries spécialisées, boucheries, traiteurs ou boulangeries disposant d’un comptoir fromages. Quelques professionnels, abasourdis, ont tenté de s’interposer et de défendre leurs étals, mais la police a fini par ramener à la raison les plus récalcitrants.

A Montréal, Ian Picard, de la fromagerie Hamel, se souvient : « Il était 12 h 30, le magasin était bondé, 30 personnes attendaient leur tour. L’inspecteur m’a dit : “il faut détruire tous les fromages”. On a dû fermer immédiatement, s’exécuter pour les fromages déjà coupés, sur les comptoirs comme dans les chambres froides. Puis on a nettoyé toutes les surfaces, les instruments de coupe, etc. On a pu réouvrir à 15 heures. Nous avions la chance d’avoir encore du stock en sous-sol. Mes quatre autres magasins ont été vidés deux jours plus tard. Ils n’avaient pas de stock, on a dû les fermer. » Son comptoir sera une nouvelle fois vidé et fermé quelques jours plus tard, cette fois-ci pendant 10 jours : « une victime d’une fausse-couche avait mangé du fromage Hamel. » Bilan : 1 500 kilos détruits.

Motif de cet assaut de grande envergure : une épidémie de listériose. L’offensive a été orchestrée par une agence gouvernementale, l’Institut de Santé, créé dans la foulée du choc du 11 septembre et des menaces bioterroristes, avec tout pouvoir pour coordonner les différents services de l’Etat et agir sans coup férir en cas d’alerte sanitaire. L’ampleur de l’opération a été justifiée par les soupçons pesant sur des fromages artisanaux au lait cru et le « risque de contaminations croisées sur les étals ».

« Pas la moindre preuve »

Cinq mois après cette « journée noire », ­l’incompréhension et la colère sont toujours entières chez les fromagers. Des indemnisations – « dérisoires », dénoncent-ils – ont commencé à être versées par les pouvoirs publics et des fonds publics engagés pour promouvoir les fromages québécois. « Pourquoi avoir détruit les produits, sans le moindre prélèvement, sans la moindre analyse ? Pourquoi ne pas les avoir simplement consignés ? », s’interroge Max Dubois. Le fromager a bien tenté de sauver quelques produits pour les faire analyser, les inspecteurs l’en ont empêché.« A ce jour, reprend-il, pas la moindre preuve clinique n’a été apportée que les deux fromageries incriminées sont responsables de listériose, pas la moindre preuve n’a été apportée que les 300 points de ventes vidés étaient impliqués dans les cas de listériose. »
Pour comprendre la crise, il faut revenir quelques mois en arrière. Le Canada a vécu à la fin du premier semestre 2008 une épidémie majeure de listériose, qui a provoqué près de 80 décès. En cause, principalement, des produits industriels carnés, fabriqués par l’industriel Maple Leaf et diffusés à large échelle, dans la restauration collective notamment. Les tranchoirs d’une usine de Toronto étaient contaminés par de la Listeria particulièrement virulente (à pulsovar 135, 136 et 180). Une procédure de rappel des produits a été engagée au mois d’août et l’usine entièrement fermée pour décontamination. Le pic de contamination a été atteint en juin-juillet. « Ici, à cette période, au début de l’été, tout le monde part en vacances. Sur la route, les gens achètent des sandwiches sous vide. Dont les sandwiches Maple Leaf », raconte un expert.

Mais lorsque la peur d’une épidémie franchit à son tour la frontière québécoise en septembre, une nouvelle piste est mise en avant. Au sommet de l’Etat, l’urgence commande d’agir. Le pays est en pleine période électorale (le Premier ministre canadien sera réélu le 14 octobre), il faut répondre aux angoisses de l’opinion publique, sous le choc de la crise Maple Leaf, rassurer, agir avec promptitude et détermination.

Les contrôles se multiplient ainsi tous azimuts au cours de l’été. Et s’orientent vers une nouvelle piste : celle des fromages artisanaux au lait cru. « Après Maple Leaf, les fromages », titrent les journaux. On évoque désormais le pulsovar 93. « On a voulu nous faire croire à une frontière bactériologique entre le Québec et le reste du Canada, plaide Max Dubois, comme si la listériose Maple Leaf ne pouvait traverser les lignes, ou se convertissait par enchantement en listériose spécialisée fromage fermier au lait cru sur le territoire québécois. »

Contaminations croisées ?

Des fromages contaminés sont ainsi repérés sur des étals de différents marchands. Entre le 22 et le 26 août, le Mapaq rappelle successivement trois fromages de trois fabricants différents (le « Riopelle de l’Île », le « Mont-Jacob » et la «  Tomme de Grosse-Île »). « Dans chaque cas, précisent les autorités, les fromages ont été contaminés non pas à l’usine, mais chez le détaillant, probablement lors de la coupe. Et ce n’est pas la même souche que celle qui a contaminé les produits Maple Leaf ». L’hypothèse de contaminations croisées s’impose. Mais où est donc la source de contamination ?

Début septembre, les enquêteurs pensent tenir deux solides suspects : les Fromagiers de la Table ronde, un fabricant de Sainte-Sophie, dans les Laurentides, dont trois des produits sont rappelés le 4 septembre (« Le Fleur de Lysé », le « Fou du Roi » et le « Rassembleu »), ainsi que la fromagerie Médard, dont 8 produits sont rappelés le lendemain.

« Tout détruire »

« Il y avait bien de la Listeria à la Table ronde », confirme le conseiller technique Marc-André Saint-Yves, ancien fromager (brebis bio au lait cru) et membre du « Comité lait cru » au sein du Conseil des industriels laitiers du Québec. « D’une part, dans un lot que le fabricant avait repéré – il contrôlait systématiquement tous ses lots – et isolé dans l’attente d’analyses de confirmation. D’autre part, dans un lot en cours d’affinage. Aucun de ces deux lots n’a jamais été distribué. Il s’agissait de Listeria à pulsovar 127, donc pas celle recherchée ». « Il y avait bien de la Listeria chez Médard, également, poursuit-il. Mais dans la boutique de vente attenante à l’usine, ainsi que sur des tables d’emballage et dans un drain. Mais pas dans l’usine et pas avec les souches qui ont provoqué des cas de listériose. »

Des fromages issus de ces deux fromageries ont-ils donc pu contaminer des victimes ? « Non ! », répond-il catégoriquement, en faisant notamment remarquer que ces deux fromageries vendaient également en Ontario, « où aucun cas de listériose liée au fromage n’a été enregistré. »

Mais la machine est désormais lancée. C’est en incriminant ces deux fromageries que les inspecteurs du Mapaq lancent leur opération du 6 septembre, en épluchant leurs registres de clientèle.

Le service d’inspection du Mapaq s’est offert un galop d’essai deux semaines plus tôt, le 25 août, à la boutique « Aux Petits Délices », à Québec. « Deux inspectrices ont débarqué chez moi très tôt le matin », explique Benoît Carbonneau, 41 ans, qui dispose d’une deuxième boutique dans la banlieue ouest de Québec. Dans chacune, des fromages à la coupe, de la fraîche découpe, un important rayon charcuterie, des vins.

« J’avais effectivement des fromages de Médard et de la Table ronde. Elles m’ont tout fait détruire, reprend-il, l’intégralité des étals des fromages, des jambons entiers sous vide, les planches, les couteaux stainless, les décorations sur les murs, les luminaires… Cela a duré six heures. Après, il a fallu tout laver. Je les ai invitées à prendre des meules intactes, à les faire analyser. Elles n’ont pas voulu. Il suffisait d’analyser les fromages de Médard et de la Table ronde, et de faire un rappel s’il y avait un problème, tout aurait été réglé. On m’a détruit ce jour-là pour 40 000 dollars canadiens ».

Nouveaux prélèvements, attente des résultats, vague supplémentaire de prélèvements, etc. : les analyses prenant au minimum 7 jours, Benoît devra attendre 18 jours avant de pouvoir réouvrir son magasin. « On est tombé trois fois à genoux, comme Jésus, mais on s’est quand même relevé. Les résultats étaient tous négatifs », affirme-t-il.

Deux semaines plus tard, le 6 septembre, l’opération de grande envergure est lancée. « Nous avons la certitude que les opérations que nous avons menées nous ont permis de prévenir d’autres maladies et même de sauver des vies », assure le gouvernement. « Nous avons été les cobayes de l’Institut de la Santé, du Ministère de la Santé et du Ministère de l’Agriculture et injustement victimes de leur panique, réplique Max Dubois. En 2008, il n’y a pas eu plus de cas de contaminations que les années passées ».

Principe de précaution poussé à l’extrême ? « Pas seulement », répondent certains, parmi lesquels Luc Mailloux, conseiller indépendant et pionnier des fromages au lait cru au Québec. « C’est une crise montée de toutes pièces : on s’est servi de la peur générée par Maple Leaf pour régler leur compte aux fromageries artisanales et au lait cru. »

Et de revenir sur une mesure importante prise le 15 juillet 2008 : le ministre de l’Agriculture québécois a fait adopter un décret autorisant la commercialisation des fromages au lait cru de moins de 60 jours, en échange de contrôles accrus tout au long de la chaîne de production (dont l’obligation de transformer le lait dans un délai de moins de 24 heures suivant la traite). Depuis 1996, une loi canadienne autorisait la commercialisation des fromages au lait cru, mais vieillis au minimum 60 jours (la réglementation antérieure rendait la pasteurisation obligatoire). Le Québec devenait ainsi la première région d’Amérique du Nord à pouvoir fabriquer du lait cru comme en Europe.

« C’est ce qui a mis le feu aux poudres, assure Luc Mailloux. Car pour le cartel du lait, c’est un risque de voir des éleveurs s’orienter vers la transformation. La crise actuelle est une façon de lutter contre ce décret et de promouvoir le modèle industriel de la pasteurisation ». Statistiques en main, il dénombre 30 cas de listériose liés au pulsovar 93 après le 1er septembre au Québec, « pulsovar qui n’a été retrouvé dans aucune fromagerie ».

« Intérêts supérieurs »

Un expert indépendant évoque « la volonté de protéger les vrais coupables en se servant des petits artisans et de la filière des fromages au lait cru comme bouc émissaire ». Car, selon lui, des contaminations auraient eu lieu, dans des fromageries industrielles canadiennes travaillant au lait pasteurisé. Les produits auraient fait l’objet de procédures de rappel. L’une d’elles, publique, a concerné l’entreprise Ivanhoé, qui alimente la première chaîne de distribution du pays, Loblaws et dont des produits ont été rappelés fin août par l’agence fédérale en raison de présence de Listeria à pulsovar 93.

Pour notre expert, des fromages « traditionnels » ont pu faire l’objet, sur les étals des marchands ou via les systèmes de transport et distribution, de contaminations croisées, soit par le biais de ces fromages industriels contaminés, soit par le biais des charcuteries Maple Leaf (les comptoirs québécois proposent quasiment toujours une offre à la fois de fromages et de charcuteries). Et de faire remarquer que « les destructions du 6 septembre étaient la meilleure façon de faire disparaître les preuves, sans porter préjudice aux vrais coupables, au nom des intérêts supérieurs de l’économie canadienne. »

Pour Max Dubois, « on a créé une panique autour d’une gaffe, agi avant d’avoir des preuves, organisé une razzia qu’il a fallu justifier coûte que coûte après, en harcelant les ateliers de fabrication ». Et de citer les chiffres épidémiologiques de l’année 2008 : « Le Québec a connu moins de contaminations en 2008 qu’en 2007 : 62 contre 69 ! La gestion de ce dossier a été totalement démagogique ».

Abus de pouvoir

A l’Epicerie européenne, à Québec, dont le comptoir fromager a lui aussi été vidé sans ménagement, le directeur, Gianni Colarusso, s’étonne simplement que « deux petits fromages artisanaux aient pu contaminer le Québec tout entier ». « Les petits producteurs ne vendent qu’à des détaillants comme nous, reprend Max Dubois, ce sont des produits de niche qui touchent un pourcentage très faible de la population. Alors que les produits industriels sont très largement diffusés par de multiples canaux, dans la distribution, la restauration collective, les maisons de retraite… On a la facilité, au ministère, de croire que toutes les victimes de contamination sont des consommateurs raffinés et assidus des fromages fermiers au lait cru, alors qu’ils ont tout aussi bien pu consommer un repas surgelé ou un sandwich de station-service. »
Luc Mailloux évoque également « la faillite des mesures de déréglementation » prises en début d’année 2008 par le gouvernement canadien : « Six mois avant la crise, le Premier ministre canadien, Stephan Harper, a décidé de déréglementer le système d’inspection et d’en confier la responsabilité aux industriels ! Ainsi, plus d’analyses de Listeria réalisées par les autorités sanitaires dans les grandes usines. Charge aux industriels de les effectuer eux-mêmes et de communiquer les résultats. »

Le ministère, très acquis aux thèses libérales, avait également annoncé le démantèlement des agences provinciales de sécurité sanitaire, dont celle du Québec, au profit du niveau fédéral. « Il n’est pas étonnant que le Mapaq ait agi avec autant de zèle, invoque Max Dubois, pour montrer son rôle irremplaçable ».

Trois mois après le « samedi noir », si une seule fromagerie a mis la clef sous la porte, la filière lait cru québécoise est aujourd’hui décimée. En ce début d’année 2009, il ne restait plus qu’une dizaine d’ateliers travaillant au lait cru contre 40 un an auparavant (sur un total de 90 fromageries artisanales au Québec).

Les contrôles n’ont pas cessé, les fromagers nourrissent un sentiment de harcèlement, jugent de nombreuses destructions injustifiées, parlent d’abus de pouvoir et, pour la plupart, se résignent à ne pas croiser le fer pour éviter de voir leurs produits de nouveau évoqués en termes de danger.

« Nous avons un autre problème, signale Marc-André Saint-Yves : pour dépister Staphylococcus aureus, on utilise ici une vieille méthode qui réagit à sa présence mais aussi à celle d’un ferment d’affinage inoffensif, Staphylococcus xylosus. D’où beaucoup de faux positifs (sans aucune recherche d’entéro-toxine) et des blocages de lots injustifiés. »

Le propriétaire des Fromagiers de la Table ronde, Ronald Alary, fervent défenseur du lait cru, qui élève ses 70 vaches selon les préceptes de l’agriculture biologique, fabrique depuis la crise au lait pasteurisé. « On n’a jamais trouvé la moindre trace de la listeria à pulsovar 93 chez moi », s’indigne-t-il, après avoir été contraint de fermer pendant 2 mois et de détruire 6 tonnes de fromages. « Je fabrique depuis au lait pasteurisé, pour avoir la paix, mais je ne fais pas de croix sur le lait cru », dit-il, la voix chargée par les « nuits sans sommeil et le climat d’hystérie ». Tout comme Jacob Lehmann, plusieurs fois couronné fabricant du « meilleur fromage du Québec », qui a fini par renoncer à fabriquer au lait cru en décembre, las de voir « ses meules être régulièrement sculptées par les inspecteurs », dégoûté de ces contrôles réalisés à la « frontière de l’ignorance et de la stupidité ».

Originaire du Jura suisse, il est arrivé au Québec en 1983 où il a créé, avec sa femme Marie, une ferme bio, avant de bâtir la fromagerie en 2001 et de renouer ainsi avec le métier de sa grand-mère. A la tête d’une trentaine de vaches, il produit le Valbert (« proche de l’appenzeller »), le Kénogami (« entre munster et reblochon ») et le Pikauba (« un morbier sans la raie »), à 3 heures de voiture au nord de Québec, dans une région où la température oscille entre – 30 et + 30°C, dans une ferme isolée, en bordure d’un lac. Il confesse avoir « l’estomac noué à chaque coup de fil. Je me dis qu’on va descendre encore un peu plus au fond du trou. »

Un souvenir le hante : « Un inspecteur a débarqué le 4 septembre, fait le tour et décrété qu’il fallait fermer la fromagerie. Sans analyser aucun fromage. J’ai dû fermer 10 jours, ils n’ont jamais trouvé la moindre Listeria et, depuis, reviennent toutes les semaines et m’épinglent désormais sur le Staphyloccocus aureus. Ils m’ont enjoint de thermiser. Il faut sauver les meubles d’abord », dit-il pudiquement. Dans une lettre, il cache moins son émotion : « J’essaie de rester vivant ». En début d’année 2009, il a été obligé, de jeter de multiples lots : après quelques semaines de saisie par les inspecteurs, dans l’attente des résultats, la date de ses ­fromages était périmée. ..

Nivelage par le bas

Fin de l’histoire pour la filière artisanale québécoise au lait cru ? Fermeture d’une parenthèse qui s’était ouverte au début des années 90, grâce à quelques pionniers ? Maintes fois primé, notamment en 1996 comme « Grand Champion des fromages canadiens », la figure emblématique de cette aventure reste Luc Mailloux, créateur du « Saint Basile de Portneuf » et du « Lechevalier Mailloux » (réalisé avec le fromager normand Serge Lechevalier comme personne ressource). Rebelle dans l’âme, sûr de son écho médiatique, il s’était à l’époque affranchi des règles canadiennes : « J’étais à moins de 60 jours, mais j’analysais tout (sols, fourrages, eaux, lait cru…) », selon les principes qui régissent le décret de juillet 2008, dont il est l’un des initiateurs. « J’ai fini par céder au harcèlement du cartel du lait, en fermant ma fromagerie fermière de lait cru afin d’empêcher la saisie possible de mes biens ».

« Cela fait quinze ans que l’on a réussi à monter ce secteur unique, singulier, résume Max Dubois, en parvenant à susciter une curiosité, un effet de mode, puis un engouement. D’abord pour les fromages québécois, puis artisanaux, puis au lait cru. » Une véritable filière est ainsi née avec ses fabricants, ses commerçants et ses grossistes, comme Nancy Portelance, fondatrice de la société Plaisirs Gourmets, fondée en 1999, qui alimente 350 clients des circuits traditionnels, avec les produits de 17 artisans. « Je suis tout de même extrêmement surprise de voir comment la clientèle est revenue à nous très rapidement dans les magasins, se rassure-t-elle : “On vous appuie, on est derrière vous ! ” »

Il suffit de parcourir les étals ­d’Andrée Tremblay, sous la halle permanente du Marché du Vieux Port à Québec, pour mesurer le chemin accompli et la vitalité de l’offre locale. « Spécialisée à 99% dans les produits du Québec », elle propose 100 à 150 fromages, uniquement québécois (seules exceptions : un époisses et un roquefort), de toutes espèces animales et de toutes technologies.

« Nos clients sont des passionnés qui recherchent de la diversité, de l’originalité, de la découverte. Ils n’accepteraient pas que l’on revienne en arrière ». « Nous étions sur de très bons rails avant cette ­crise, nous étions le fleuron des fromages artisanaux en Amérique du Nord, reprend Max Dubois. Nous avons tous accompli, à notre mesure, un travail de sensibilisation et de fidélisation, que cherchent aujourd’hui à s’accaparer les industriels en se prévalant des termes “artisanat” ou “terroir”, dans un flou juridique total. Le Vermont va nous passer devant. » « On est en train de niveler tout par le bas, de tout standardiser », déplore Jacob Lehmann.

Avec Ian Picard, Max Dubois vient de poser les jalons d’un syndicat des détaillants, pour pouvoir réagir de manière plus raisonnée et concertée en cas de nouvelle crise. Et en espérant, ardemment, que la filière puisse se redresser et permettre à ses fabricants de pouvoir à nouveau travailler au lait cru. En toute sérénité.

points de vente visités et vidés en l’espace d’une seule journée... pour une bactérie restée ­introuvable.

A lire également

➜ Le repaire de Max Dubois



|Qui sommes nous ? |Mentions Légales |Contact |