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  • Frère Nathanaël (abbaye de Tamié).
  • L'abbaye de Tamié, pionnière dans la méthanisation du petit-lait.
  • L'abbaye de Cîteaux (Côte d'Or).
  • Frère Jean-Claude (abbaye de Cîteaux).
  • Cîteaux a inauguré une chaîne de fabrication (moulage et pressage).

Les abbayes fromagères en odeur de sainteté

mardi 13 septembre 2011, par Christophe Demay

Du Nord (Mont-des-Cats) au Sud (Le Pesquié, en Ariège), les communautés religieuses ont toujours travaillé pour assurer leur subsistance. Elles fabriquent du fromage depuis le haut Moyen-Âge.

Leur atelier susciterait la convoitise de bon nombre de fromagers. Inox rutilants, moulage et pressage entièrement mécanisés, ergonomie optimale. Nous sommes au cœur de l’ultramoderne fromagerie de Cîteaux (Côte d’or), abbaye neuf fois centenaire. On imaginerait volontiers des moines replets et tonsurés, traînant leur robe de bure et leurs sandales, tout en récitant d’étranges litanies, directement sortis d’un film publicitaire. Le poncif aurait tendance à les faire sourire. Ici, les moines arpentent les lieux avec la charlotte et les surchaussures pour fabriquer l’un des derniers fromages monastiques fermiers de l’Hexagone.

L’un des derniers, oui. Car l’âge d’or des monastères est depuis longtemps révolu. Et cette production monastique, sans laquelle la France ne pourrait aujourd’hui s’enorgueillir de son patrimoine fromager, se trouve réduite à portion congrue. Elle qui a enfanté tant d’appellations d’origine avant d’en être dépossédée : abondance, maroilles, pont l’évêque, époisses… Jusqu’à ce fameux munster où transparaît une filiation sémantique avec « monastère ».

Centres économiques du Moyen Âge, défricheurs de forêts, les monastères appliquaient la règle de Saint-Benoît, père de tous les moines, et produisaient leur propre nourriture afin de vivre en autosuffisance. La Révolution française a bien failli leur porter le coup de grâce, les chassant et les dépossédant de tous leurs biens. Mais plusieurs communautés sont revenues tout au long du XIXe siècle pour refonder des monastères et relancer des productions.

Portion congrue

Le frère Jean-Claude de Metz, de l’abbaye de Cîteaux, dresse un rapide inventaire. Tamié, La Coudre, Timadeuc, Belloc, Belval, Mont-des-Cats, Echourgnac... Tout au plus une quinzaine d’abbayes, en France, à perpétuer une tradition fromagère. Souvent comme simples affineurs.

Les productions monastiques ont tendance à disparaître. A l’instar du célébrissime Port-du-Salut dont la communauté éponyme a cessé la fabrication à la fin des années 80. On peut encore évoquer le cas de l’abbaye de Belval (Pas-de-Calais). L’exigence d’investissements supplémentaires avait contraint les sœurs à stopper la fabrication dans les années 80 ; le vieillissement de la communauté et la crise des vocations les conduiront vraisemblablement à cesser leur activité d’affinage à la fin de l’année. L’abbaye, désormais réduite à une trentaine de sœurs, doit se regrouper avec d’autres communautés et déménager.

Moines et moniales ont d’abord quitté les fermes et pâtures, puis les fromageries et enfin les caves. « Les fermes monastiques n’étaient souvent plus rentables, beaucoup ont fermé, témoigne le frère Bernard Marie, à la tête de la fromagerie du Mont-des-Cats (Nord) depuis une vingtaine d’années. Les fromageries ont ensuite suivi à l’exception de quelques-unes investissant dans la mécanisation. » La règle comporte cependant des exceptions avec des monastères inégalement touchés par la crise des vocations. A l’abbaye de Cîteaux, on évoque une importante communauté de jeunes capable d’essaimer en Norvège pour y fonder un nouveau monastère. De même, au Pesquié (Ariège), une cinquantaine de sœurs bénédictines continuent à produire un fromage au lait cru strictement fermier - même le fourrage est produit par les sœurs - et à vendre sa modeste production (environ cinq tonnes) sur le marché de Foix.

« Business moine »

Mais la foi ne suffit plus à faire tourner la fromagerie. On a beau être une abbaye, on n’échappe pas totalement au monde séculier avec ses exigences économiques et réglementaires croissantes. « On ne peut plus se permettre de laver les toiles dans une petite machine à laver à côté, dans une salle vétuste », lâche en exemple, le frère Nathanaël de l’abbaye de Tamié (Savoie).

A Cîteaux, trois millions d’euros viennent ainsi d’être investis en 2010, dans une fromagerie ultramoderne pour répondre aux normes sanitaires et poursuivre la production. L’outil s’est modernisé, les moines se sont formés à la science fromagère. Econome de Cîteaux, le frère Jean-Claude de Metz évoque les aléas rencontrés lors du démarrage de cette nouvelle unité de production, le temps de recréer une ambiance microbienne favorable dans le nouveau hâloir. Au Mont-des-Cats, le frère Bernard Marie raconte avoir suivi les cours de l’Enil de Poligny, afin de se former à la technique fromagère et afin de répondre aux exigences du consommateur moderne : « La qualité de notre fromage demeurait variable au fil du temps. Aujourd’hui, il doit témoigner d’une qualité constante. »

Âme préservée

Les moines ne sont plus des enfants de chœur. Au savoir-faire transmis au fil des siècles et à une connaissance empirique, ils ont ajouté un bagage technique avec des ressources parfois inattendues. Pour promouvoir l’abbaye et son fromage sur internet, le frère Bernard Marie s’est converti au HTML et au PHP. A Tamié, le frère Nathanaël revient tout juste du salon de l’agriculture. Comme n’importe quel patron de fromagerie désirant maintenir ses connaissances à flots. « Nous restons dans la recherche permanente. A Tamié, nous avons ainsi été pionniers dans les années 2000, de la méthanisation du petit lait. »

Le frère Nathanaël est par ailleurs président de la marque collective Monastic, créée à la fin des années 80 afin de regrouper toutes les productions d’abbaye (900 à ce jour pour 200 monastères en Europe), en réponse à l’exploitation de leur image par des petits génies du marketing et de la pub. Le fromage monastique s’adapte. Et le responsable de la fromagerie de Tamié a une formule toute trouvée pour résumer la transformation opérée au cours des dernières décennies : il se définit comme un « Business moine ». Celui qui a appris à concilier les exigences de la règle avec celles d’une économie de marché.

Le tour de force du fromage monastique aura sans doute été de répondre aux assauts de la modernité sans perdre son âme. Vaincre les archaïsmes ne signifie pas pour autant abandonner la tradition. « Dans la façon de fabriquer le produit, il demeure quelque chose de constant et de traditionnel : l’air, la qualité de l’eau, le temps passé en cuve, l’écosystème des caves n’ont pas forcément évolué », confie le frère Nathanaël. Ni l’essence même du fromage monastique qui a conduit les communautés à le fabriquer depuis le haut Moyen-âge. « Nous sommes avant tout moines pour prier et le fromage nous assure un moyen de subsistance », rappelle volontiers Frère Bernard Marie. Le fromage doit garantir cet « équilibre monastique » entre spiritualité et travail. « Un équilibre entre la vie spirituelle, la prière et la quête fondamentale et cette exigence économique de plus en plus grande et complexe », résume le frère Nathanaël.

En se modernisant et en se mécanisant, les abbayes ne sont pas devenues des entreprises fromagères en quête de profit. Leur quête demeure spirituelle. Et le volume des productions adapté à la taille et aux besoins de la communauté, et non à ceux du marché : « Même lorsque le fromage Mont-des-Cats marchait bien nous n’avons jamais cherché à produire plus. Nous restons à environ 200 tonnes par an. »

Ainsi à Cîteaux, avec 73 tonnes de fromage et 540 000 litres de lait transformés annuellement, le frère Jean-Claude estime que l’outil tourne « au quart de sa capacité ». Les abbayes pourraient sans doute produire davantage. Le frère Bernard Marie en est conscient : « Même si la France est laïque, les gens restent heureux de consommer un fromage d’abbaye. » Les productions monastiques pourraient sans mal profiter d’un regain d’intérêt du consommateur friand d’authenticité. Mais le fromage trappiste n’envisage pas de céder aux sirènes d’un marché.
 

« Il existe encore en France une quinzaine d’abbayes qui fabriquent ou affinent du fromage. Entre les murs de ces ateliers hors du commun se perpétue un vrai savoir-faire, en prise directe sur les outils les plus modernes. La crise des vocations le met malheureusement en péril. »



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