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  • Composition de Rodolphe Le Meunier devant le château de Chenonceau.
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Rencontres croisées et accords subtils

lundi 15 juin 2009, par Arnaud Sperat-Czar

Reportage sur les terres des chèvres du Centre, à la recherche de "l’accord parfait" avec un cépage local. Fromagers et vignerons sont mis à contribution, réunis autour de la table !

Qui n’a eu ce réflexe ? Nous étions partis en Val de Loire avec une conviction : rien de meilleur pour accompagner le très garni plateau de fromages de chèvres locaux (sainte-maure de Touraine, selles sur Cher, Pouligny Saint-Pierre, Valençay...) que le sauvignon, le prolifique pourvoyeur de vins blancs du centre de la France (Sancerre, Pouilly Fumé, Quincy...). Ses raisins produisent des vins pointus et nerveux avec de nets parfums floraux et minéraux évoquant souvent la pierre à fusil. Un cépage idéal pour aiguillonner et donner de la fraîcheur aux persistantes saveurs caprines ? Un accord sur le tempérament...

Trois jours plus tard, au fil de rencontres croisées entre fromagers et vignerons, c’est une tout autre alliance qui s’imposait par son évidence, celle du cépage chenin, surtout lorsqu’il est vinifié en mœlleux ou liquoreux (Vouvray, Savennières, Montlouis, Coteau du Layon...), avec des chèvres tout aussi mœlleux. Un accord sur la texture...

Artistes confirmés

D’un côté, des fromages de chèvre du Val de Loire, sélectionnés par Rodolphe Le Meunier, l’un des Meilleurs ouvriers de France, installé tout près du château de Chenonceau, et par Marc Refabert, fondateur du site de vente en ligne www.fromages.com, basé à Tours. De l’autre, les vins de vignerons de Loire. Des artistes confirmés tels Philippe Foreau (Vouvray), Bernard Baudry (Chinon), Pierre Breton (Bourgueil) ou François Plouzeau (Touraine), tous convertis de longue date aux préceptes de la biodynamie et adeptes des « vins vivants » débordant de minéralité. De jeunes pousses dénichées par Rodolphe Le Meunier dans un périmètre proche, tels Bruno Curassier ou Damien Delecheneau.

Les dégustations ont pris pour pivot des sainte-maure de Touraine de printemps, de début de lactation, assez gras, et demi-affinés (20 à 25 jours) : très tendres, légèrement crémeux en pourtour, au goût très équilibré (très légère pointe de sel), avec des arômes caprins évoquant les fruits secs. Une subtilité et une délicatesse en parfait accord avec la vision d’une brume matinale sur la Loire...

L’aventure commence à Tours, devant une côte à l’os proposée par le patron des Linottes gourmandes, Arnaud Martin, où un Coteau de l’Aubance de Victor Lebreton crée le premier coup de foudre. Elle se termine en apothéose trois jours plus tard chez l’alchimiste du Vouvray, Philippe Foreau, avec un millésime... 1947.

Chaque lundi soir, au cœur du Vieux Tours, Arnaud Martin cuisine au feu de bois, devant ses clients, dans un imposant âtre en pierre de tuffeau. Cet ancien de la maison champenoise Pommery échange ce soir-là avec un représentant de la maison Pascal Jolivet, Henri Ducos. Les deux hommes débouchent plusieurs bouteilles – Menetou Salon, Sancerre, Pouillé Fumé, Cheverny, Chardonnay d’Auvergne... – autour d’un sainte-maure de Touraine. La dégustation se focalise rapidement sur le chenin. En sec, avec la cuvée Turonien du Château Godrelle, 2007, un Vouvray minéral aux notes florales et à la texture assez tendre : le gras du fromage rivalise avec celui du Vouvray et donne de la longueur à l’accord. Encore plus séducteur, en mœlleux, avec le Coteau de l’Aubance de Victor Lebreton (Domaine de Montgilet, 2008), au nez de réglisse et de fruits exotiques et aux arômes, en bouche, de pêche, mirabelle, abricot... : très aérien, avec une légère douceur, le vin se libère totalement au contact du fromage. Premières pistes, premières sensations... Mais aussi premières déceptions avec les sauvignons dégustés, que les fromages laissent cois.

Chenin et sauvignon surmûri

Installé à la Croix en Touraine, le long du Cher, Rodolphe Le Meunier collectionne les titres. L’année 2007 l’a vu devenir « Meilleur fromager international » lors des « International Caseus Awards » et « L’un des Meilleur ouvriers de France ». Parmi ses dernières initiatives, l’organisation de cérémonies de prestige dans des lieux d’exception dont le Val de Loire est riche, avec des menus bâtis autour de fromages et de vins (« Prestige Fromages ») ou la mise sur pied d’un diplôme Universitaire « Fromage : patrimoine, affinage, et commercialisation » (en coopération avec l’Université de Tours et l’Institut européen d’Histoire et des cultures de l’alimentation). Ce qui ne manque pas de sel pour un autodidacte. Aussi méticuleux que volontaire, il affine un choix rigoureux de fromages dans des installations dont la taille et les caractéristiques lui permettent d’alimenter de nombreux marchés, restaurants et de développer désormais une activité export.

Ce jour-là, il a convié deux vignerons, un sommelier et un professeur de lycée hôtelier pour fiancer ses fromages de chèvre. Deux accords se distinguent, mettant encore en valeur les excellentes dispositions du chenin à cajoler les chèvres : « La Taille Saint-Julien », mœlleux du Domaine de la Grange, de Bruno Curassier (70% de Chenin, 30% de Sauvignon surmûri), offre un accord tout en profondeur tenu par la douceur et sous-tendu, condition sine qua non, par la vivacité et la fraîcheur du vin. Même sensation de confort avec « L’équilibriste 2005 », un Montlouis 2005 du Domaine de la Grange Tiphaine, de Damien Delecheneau, qui laisse une bouche parfaitement fraîche, après de curieuses oscillations entre douceur et nervosité.

Equilibre parfait

La démonstration se poursuit chez Pascale et François Plouzeau, vignerons installés à flanc de colline dans le sud de la Touraine à 8 kilomètres de la ville de Richelieu, aux marches du Poitou, qui produisent des vins alertes et fringants. Le Domaine de la Garrelière s’est bâti une belle réputation pour son sauvignon cristallin. Mais face au sainte-maure, le « Blanc de Garrelières » (100% sauvignon), parfumé et vif avec des arômes de pamplemousse, s’assèche et finit même par se faire amer. Même frustration avec la cuvée « Cendrillon » (80% sauvignon + 20% chardonnay) qui perd de son éclat. C’est, encore une fois, le chenin qui prend la parole : le « Couleur du Temps », se déploie avec le fromage sans lui porter ombrage. L’équilibre est parfait, fait de respect mutuel. Avec le « Chenin 2007 », au nez délicatement exotique, l’accord se réalise sur le gras, tout en procurant une sensation de finesse.

En remontant vers le Nord, on ne résiste pas au plaisir de faire une halte à Cravant les Coteaux, chez l’expérimenté Bernard Baudry, tout en droiture et simplicité. On aimerait évoquer ici plus longtemps ses Chinons rouges, et notamment l’énergie de sa célèbre cuvée de la Croix Boissée. L’homme a banni de son chai le bois neuf et va chercher dans les profondeurs du sol la structure de ses vins. Mais les Chinons rouges n’ont pas, a priori, le meilleur profil pour accompagner les fromages de chèvre : leurs tanins ont tendance à produire de l’amertume au contact du fromage.

Une surprise tout de même : le va-et-vient intéressant qui se noue entre le sainte-maure et la cuvée les Grézeaux 2007, qui a pour particularité d’être issue d’un sous-sol calcaire : le fromage donne de la fraîcheur au vin, qui semble à son tour transpercer le fromage. Et ainsi de suite, toujours avec ce sentiment persistant de fraîcheur. Peut-on en tirer une vérité générale ? On repense alors au tendre accord qu’avait révélé la « Clef de sol » 2007 (Touraine-Amboise) de Damien Delecheneau, un rouge fruité dont la fraîcheur avait bien porté le côté lacté et gras du fromage en laissant là aussi, de la fraîcheur en fin de bouche.

Vins canailles

Il aurait fallu plus de temps pour explorer plus loin cette piste avec les vins de Catherine et Pierre Breton, producteurs eux aussi de vins « naturels et biodynamiques » (Bourgueil, Chinon et Vouvray), à Restigné, et qui aiment produire des vins portés sur le fruit. Des vins canailles, diablement séducteurs mais sans artifices, purs comme de l’eau de roche. En particulier, leur « Nuit d’ivresse », issue d’une sélection de vieilles vignes sur terroir argilo-calcaire, élevée sans souffre.

Mais un orfèvre de l’accord des mets et des vins nous attendait. Remontons la Loire, direction Vouvray. Philippe Foreau, grand gastronome, qui ne peut s’empêcher d’évoquer un vin sans le plat qui pourrait l’accompagner, couve amoureusement de sa passion et de toute sa précision Le Clos Naudin. Il est avec son voisin, le Domaine Huet, l’un des deux plus prestigieux noms du terroir de Vouvray, où le chenin s’épanouit de manière lumineuse.

La dégustation commence avec un Vouvray sec 2007, sur lequel les différents chèvres proposés s’abîment, le vin s’asséchant et perdant de sa fraîcheur. Remontons dans le temps. Le Vouvray sec 2005 est plus heureux : plus gras, plus fruit mûr que le précédent, il amorce un rapprochement sensuel sur la texture. Un amour platonique, les deux amants, on le sent bien, commencent tout juste à se caresser sans vouloir communier. « Avec l’âge, prédit Philippe Foreau, ce vin va développer des arômes grillés très fins, qui seront parfaits pour ce type de fromage. »

Amour passion

Poursuivons dans l’exploration du passé... et de la douceur. Un mœlleux de 1989 (70 g/litre de sucre résiduel), assez puissant, avec des arômes évoquant la cire et les fruits mûrs, engloutit le fromage, réduit au rôle de faire-valoir. Le gracile chèvre ne résiste pas à l’adolescence fougueuse du vin. L’accord parfait n’est pas encore là...
Le maître de céans ne résiste au plaisir de s’autoriser une petite digression avec une fourme d’Ambert fondante apportée par Marc Refabert. L’accord est classique et trouve immédiatement validation : le vin accentue la dimension salée du fromage qui accentue le côté liquoreux, confituré, abricoté du vin, pour finir sur une étonnante sensation de caramel salé et de banane. Cela ressemble à l’amour passionnel, celui dont on dit qu’il fait perdre la raison et dont on s’étonne toujours des manifestations.

Une telle rencontre est-elle possible avec un sainte-maure de Touraine ? Philippe Foreau n’est pas décidé à en rester là. Il tient son idée, traverse la rue et revient du chai avec une bouteille de plus d’un demi-siècle, un Vouvray 1947 Perruches aux tonalités mordorées. Les présentations sont hésitantes, puis la fusion s’opère, celle où 1 +1 = 1, dans toute son évidence. L’alliance libère un délicat goût d’amande ! La fraîcheur lactique, toujours présente en toile de fond, donne de la profondeur au vin, qui devient presque suave. « Voilà, s’exclame Philippe Foreau, le chèvre gras est sublimé par les moelleux âgés. Ils conviennent mieux que les vins jeunes qui sont davantage sur le fruit ! »

Le lendemain, en faisant le tri des idées et des notes de dégustation, le chenin, mœlleux ou liquoreux, produit bien sûr avec talent, avec assez d’acidité et de minéralité pour ne pas le laisser aller sur une pente doucereuse, s’impose comme une évidence. Et le sauvignon ? A bannir ? Pas forcément. Certes, sur des fromages tendres, l’accord est souvent délicat : le vin a tendance à se durcir, alors que le fromage jeune a tendance à coller au palais, d’où des bouches pâteuses où se libère l’amertume des tanins. Mais sur des fromages plus secs, l’alliance a plus de chance d’être heureuse. Une voie à explorer...

L’accord parfait se réalise entre des chèvres tendres et des blancs mœlleux de cépage chenin.



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