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À Roquefort-sur-Soulzon, village tout en longueur adossé à la paroi abrupte du plateau du Combalou (Aveyron), les rues semblent d’abord silencieuses dans le froid piquant de l’hiver. C’est faire exception de l’artère principale où se joue un ballet familier, entre camions de livraison et fromagers en charlotte. Le village ne compte que 700 habitants, mais emploie près de 1 000 personnes à l’affinage de ses précieux pains de roquefort, jalousement abrités quelques dizaines de mètres plus bas, sous les pieds de ses visiteurs.
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La descente en caves sollicite tous les sens et peut s’apparenter à une « cathédrale inversée » : fraîcheur de l’air (environ 9°C), forte humidité, parfum soutenu des fromages de brebis, contrastes visuels entre leur chair blanche veinée de bleu et les lourdes planches de bois ou les roches sombres des parois. Pas étonnant que le roquefort Baragnaudes (Société) convoque les fées dans ses campagnes publicitaires : les caves de Roquefort, avant d’être destinées à l’affinage, ont été de simples grottes surgies de l’effondrement du Combalou, sur 2 km de long et 300 m de large. Des grottes somptueuses, vastes, qui forment un réseau mystérieux émaillé de fleurines : ces longues failles assurent un brassage naturel et permanent de l’air. Certaines caves sont aménagées au XVIIe siècle, parfois jusque sur onze niveaux. Un monument naturel érigé à la gloire du roquefort. La zone de collecte du lait s’étend à travers six départements, mais l’affinage demeure circonscrit à cette zone chaotique d’éboulis.
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Les roqueforts y séjourneront au minimum quinze jours pour conquérir leur "signature", la fameuse moisissure Penicillium roqueforti. Injectée dans le lait cru et entier en début de fabrication, ou pulvérisée sur le caillé, la souche varie d’un fabricant à l’autre : elle développe ainsi toutes les nuances de bleu et de vert possibles, faisant varier la texture et les arômes du fromage à l’infini.
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La bonne nouvelle, c’est que ce joyau est accessible. Avec plus de 300 000 visiteurs par an, Roquefort-sur-Soulzon est devenu le site industriel le plus visité de France, devant l’usine marémotrice de la Rance, en Ille-et-Vilaine. Le meilleur moment pour découvrir la magie des caves reste entre janvier et juillet, période où elles sont emplies de fromages. Les touristes ont le choix entre quatre fabricants, Société, Papillon, Coulet et le Vieux Berger. Société ouvre ses caves toute l’année pour une visite guidée d’environ une heure et propose également en fin de visite une rétrospective de l’entreprise. L’entreprise Papillon, quant à elle, propose une visite gratuite de ses caves, d’environ trois quarts d’heure. Chacune des visites se termine par une dégustation des produits maison.
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La filière roquefort ne compte que sept fabricants. Quant au produit, il a gagné ses lettres de noblesse depuis longtemps : le roquefort est à la fois la plus âgée des AOP fromagères françaises (1925) et la seconde en volume, derrière le comté.
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En attendant de descendre en caves, vous pouvez déguster un roquefort avec des vins blancs sucrés, du porto blanc (le Rozes White Reserve est conseillé par le MOF 2007 Xavier Thuret), un vin de rhubarbe (le Crillon des Vosges par exemple) ou encore avec certains whiskys. Nicolas Juhlès, fromager à Paris, suggère ainsi de marier « un single malt tourbé avec un roquefort ». Ou passer en cuisine armé de l’ouvrage « Le roquefort, dix façons de l’accommoder », aux éditions de l’Epure. Et feuilleter le livre simplement intitulé « Roquefort », chez le même éditeur, qui rend hommage à l’ensorcellement du lieu.
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Enfin, si vous recherchez du roquefort bio, ils ne sont encore que trois fabricants sur sept à y croire : les fromageries Papillon, depuis 1976, la Société des caves de Roquefort depuis les années 1990 et la maison Coulet depuis juillet 2011.
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Le piquage des pains de roquefort, n’introduit aucune moisissure dans le fromage. Il répond à un objectif technique : expulser le dioxyde de carbone issu des fermentations pour favoriser le développement du Penicillium roqueforti. Le plombage à la feuille d’étain, lui, permet au contraire de bloquer le développement du Penicillium roqueforti avant de faire passer les fromages des caves aux réfrigérateurs où ils termineront leur affinage et maturation (au total, trois mois minimum requis par l’AOP).