Erick Jarnan, la jonchée sans attendre
Charente
A moins de vivre ou d’être de passage dans un rayon très proche, vous n’aurez guère la chance de pouvoir savourer la Jonchée de Saint-Nazaire-sur-Charente, fromage totalement inhabituel, mais typique de la Charente : un produit ultrafrais, enveloppé dans du jonc naturel, parfumé le plus souvent à l’amande, à consommer idéalement le jour même de sa fabrication...
A moins de vivre ou d’être de passage dans un rayon très proche, vous n’aurez guère la chance de pouvoir savourer la Jonchée de Saint-Nazaire-sur-Charente, fromage totalement inhabituel, mais typique de la Charente : un produit ultrafrais, enveloppé dans du jonc naturel, parfumé le plus souvent à l’amande, à consommer idéalement le jour même de sa fabrication...
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A 51 ans, Erick Jarnan est l’un des tout derniers fromagers à perpétuer la tradition de la jonchée. Située à Saint-Nazaire-sur-Charente, à quelques kilomètres de Rochefort et de l’île d’Oléron, sa fromagerie est entourée par le marais charentais. Encore plus que sa région, elle incarne pour lui sa famille, qui la fabrique depuis maintenant près de 50 ans. Ses parents, qui possédaient une petite exploitation, avaient choisi de produire ce fromage atypique afin de valoriser leur lait.
Autrefois, les grands-mères vendaient leurs jonchées dans le pays rochefortais avec une charrette à bras. Aujourd’hui, c’est avec sa camionnette qu’Erick distribue ses jonchées, tous les matins, d’avril à fin octobre. Une tradition familiale de vente « à la chine », en tournée de porte à porte, qu’il souhaite plus que tout conserver, malgré les contraintes d’horaires. En effet, pour être en mesure de livrer le fromage très frais dans la matinée, le fromager fabrique la jonchée la nuit, la plupart du temps entre 1h et 4h du matin.
Quand son frère a repris l’activité familiale, Erick a travaillé durant cinq ans avec lui. C’est tout naturellement qu’il a continué, il y a 15 ans, la production, lorsque son frère a décidé d’arrêter. La vente, très locale, se fait sur l’île d’Oléron, à Marennes, Rochefort, et Fouras notamment.
Le fromage, dont on raconte également que François Mitterrand était friand, d’un blanc très brillant et de forme allongée, est obtenu après un caillage rapide du lait de vache, avec ajout de présure. Un parfum d’amande est ajouté dans le caillé, qui est ensuite déposé à la louche sur des paillons de joncs tressés. Ils sont alors fermés à chaque extrémité, et les jonchées sont ensuite conservées dans des seaux d’eau, afin de ne pas se dessécher. En hiver, « les fromages sont plus difficiles à fabriquer, car il est nécessaire de réchauffer le lait pour le faire cailler », explique Erick.
Le paillon de joncs tressés confère un goût herbacé et une forme atypique au fromage. Les joncs sont récoltés toute l’année dans les marais voisins, et au bord de l’étang situé à côté de la fromagerie ; mais le mois d’août reste la meilleure époque, car les joncs, qui ont souffert de la sécheresse, sont plus résistants. Ces paillons sont consignés, et chaque client vient avec son contenant pour récupérer le fromage.
Pour Erick, « la base est d’avoir un bon lait ». Il se fournit auprès d’une ferme toute proche, qui possède une centaine de vaches. Si son produit est le plus souvent aromatisé au laurier amandé, Erick prépare également quelques jonchées nature sur lesquelles « on ressent plus le goût du jonc », à destination de certaines boutiques. Il garantit son fromage trois jours ; en effet, au bout de 3 à 4 jours, la jonchée se rétracte et devient plus sèche. Au niveau du goût, le jonc prend le dessus et lui donne alors une saveur très herbacée.
Lorsqu’Erick a repris la fromagerie, ils étaient encore cinq producteurs de jonchée. « On aurait alors pu lancer une demande d’Appellation d’origine, mais il n’était pas facile de s’entendre », regrette-t-il. Aujourd’hui, subsistent trois producteurs, mais Erick Jarnan reste le seul à fabriquer avec du jonc naturel, ce qui demande beaucoup de travail, surtout pour garder le végétal en bon état. « C’est ma mère qui fabriquait les paillons, coupait les joncs et les cousait avec sa machine à coudre. Nous, enfants, nous devions aller chercher les joncs dans les marais », se souvient-il.
Une autre tradition historique de la région consistait à utiliser la fleur de la chardonneret, une espèce d’artichaut sauvage, pour faire cailler le lait. La fleur était filtrée, après avoir macéré dans l’eau, puis ajoutée au lait. Erick utilise désormais une présure classique.
C’est surtout un fromage frais que l’on déguste quand viennent les beaux jours, et qui est donc très soumis à la saisonnalité. Il est dégusté le plus souvent avec du sucre, parfumé de fleur d’oranger ou de lait d’amande. Erick décrit ainsi son fromage : « le lait cru entier lui confère un goût lacté très marqué, et une texture riche et onctueuse, très douce. Le fromage est tendre, glisse sur la langue et sous le palais. »
Beaucoup de ses fidèles clients, chez qui il livre chaque jour ses jonchées, sont devenus de véritables amis, car certains le connaissent depuis qu’il est tout jeune. « Tous ces aspects de mon travail me confèrent une qualité de vie très appréciable, car j’apprécie le contact chaleureux avec la clientèle et le fait de perpétuer la tradition familiale, même s’il s’agit d’un travail très astreignant ! »
(Texte : Karen Pottier - Vidéo : Débora Pereira)
Coordonnées
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Fontrouet
17780 Saint-Nazaire-sur-Charente