lundi 14 juin 2010, par Arnaud Sperat-Czar
Berger de père en fils en Corse depuis 1634 au moins !
Il avait une vingtaine d’années et étudiait les sciences et structures de la matière à Nice. « Il aurait ensuite fallu que j’aille travailler dans une centrale nucléaire, explique Jean-André Rossi. Comme il n’y en avait pas en Corse, j’ai préféré arrêter là mes études et je suis rentré ici, à Letia, pour élever des chèvres ». Difficile lorsque l’arbre généalogique révèle que vos aïeuls sont bergers de père en fils depuis au moins 1634 de mettre fin à une histoire si enracinée ! « Impossible de couper cette filiation, c’est comme un train qui est lancé ».
En marge de ce petit village perché au centre de la Corse, avec vue imprenable sur les vallées et montagnes des alentours, Jean-André Rossi, désormais la quarantaine mais toujours le même enthousiasme juvénile, élève à 750 mètres d’altitude 200 chèvres de race Corse, qu’il trait de Noël jusqu’au 20 juillet, « tous les jours sans exception ».
« Elles raffolent des épineux »
De leur lait, il tire du brocciu et une pâte molle au lait cru à croûte lavée, de 430 à 440 grammes, que l’on appellera, en accord avec lui, « fromage de chèvre de Letia », affiné environ un mois et demi. Une toute petite production : « les chèvres ne donnent ici que 0,6 litre par jour », explique-t-il. Leur nourriture, elles la trouvent dans le paysage accidenté : « Elles n’ont aucune limite, reprend-il : elles vont aussi bien sur les pâtures communales que dans les parcelles privées où on les laisse passer : la chèvre est un pare-feu naturel. Elles raffolent des épineux, les ronces par exemple. Elles, elles ne se piquent pas. »
La végétation est constituée de châtaigniers, chênes, bruyères, genêts... Tous les soirs, moins indisciplinées que la réputation qu’on leur prête, elles rentrent sagement dans la grange en bois, bâtie à une centaine de mètres de la petite fromagerie. « Je les appelle tout simplement, il est rare que je doive aller les chercher. »
Jean-André Rossi s’affaire tous les après-midis dans la cave d’affinage où les fromages l’attendent sur des planches : « on les lave deux à trois fois par semaine, à l’eau de source, sans ajout de sel. » Aucun ferment du commerce dans l’atelier de fabrication : « je n’utilise pas le moindre ferment, explique-t-il. Je ne fais même pas de repiquage de levain avec le petit-lait de la veille. Je laisse le lait maturer toute la nuit à la température extérieure, à 12 degrés environ – à cette altitude, il n’y a jamais d’excès de chaleur – sans couvercle : sinon il ne s’ensemencerait pas avec les ferments naturels présents dans l’ambiance. »
Il n’a aucun souci pour commercialiser ses fromages : soit sur place, soit dans quelques épiceries fines. « Pas dans les supermarchés, il ne mettent pas le fromage en valeur », assène-t-il. Il a encore le temps de penser à la préservation de cette belle lignée fromagère. « J’ai une fille, mais elle ne sera pas bergère a priori »... à moins qu’elle ne croise un berger sur son chemin.