jeudi 15 mai 2014 , par Arnaud Sperat-Czar
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Ils ont beaucoup peiné pour en arriver là : désormais connus et reconnus, Alain et Caroline Bartkowiez fabriquent depuis plus de dix ans de l’époisses fermier, sur le plateau de Langres, à Origny-sur-Seine, petit village situé au sommet d’un coteau couvert de futaies.
Nous les avions rencontrés à leurs tout débuts, lorsque la période de mise au point semblait ne jamais devoir en finir. Et pour cause, l’époisses est un fromage aux équilibres technologiques très fragiles, un fromage à coagulation lactique lente et à croûte lavée, tout comme ses proches voisins le langres et le soumaintrain. Traduction : "C’est donc un caillé gorgé d’eau auquel on apporte encore de l’humidité en cours d’affinage. Une grande partie du savoir-faire est de savoir l’égoutter suffisamment, mais pas trop pour qu’il garde tout son fondant, le séchage est une étape cruciale", explique Alain, 45 ans, entraîné dans l’aventure par son épouse Caroline, 38 ans, native des lieux. Celle-ci, après avoir fabriqué du maroilles pendant deux ans à la Ferme du Pont des Loups, a souhaité prendre la relève de ses parents sur l’élevage laitier familial, en y ajoutant la transformation fromagère.
"Le plus difficile, reprend Alain, est de comprendre ce qui se passe dans le lait, pour quelle raison on obtient tel résultat, car, à notre échelle, nous n’avons pas les moyens d’analyse des industriels. Il faut être très modeste, renouveler les expériences, éventuellement corriger petit à petit, toujours avec parcimonie. C’est une expérience qui vient peu à peu, on arrive à orienter notre travail, à anticiper les choses un peu mieux."
La fromagerie est située à Origny-sur-Seine, en pays châtillonais, sur les hauteurs du village. L’allée de marronniers qui borde l’élevage a donné son nom à l’exploitation.
L’aventure a commencé en 2001, l’AOC leur a été octroyée en 2002. Le Gaec des Marronniers fonctionne à quatre : outre le couple, il est constitué du frère de Caroline, Nicolas, et de sa compagne, Mathilde. « La fabrication de l’époisses dans notre structure sous-entend une parfaite complémentarité entre la fabrication et la production laitière, donc entre nous quatre », souligne Caroline.
Quatre employés leur prêtent main forte. Car l’époisses est très exigeant en main-d’œuvre : outre le moulage à la louche, 4 frottages à l’eau saumurée tous les deux jours en première semaine, 3 frottages en deuxième semaine, 2 en dernière semaine. Sans oublier les retournements pour que l’égouttage soit bien homogène. L’incorporation de marc de Bourgogne à la saumure se fait dès le début dès 15 jours d’affinage.
Le Gaec, qui produit 14 tonnes par an (1% de l’AOC), a procédé à un "grand virage" en 2010 : l’abandon de l’ensilage de maïs. C’est désormais d’herbe fraîche ou de foin que se nourrissent les 65 vaches de l’élevage, des Brunes des Alpes et des Montbéliardes, qui sortent dans les pâtures en général du 15 avril au 15 octobre, selon la météo. "Travailler avec une alimentation sèche, explique Alain, nous permet de mieux maîtriser l’affinage. Le changement a été radical : il nous a apporté plus de sécurité en matière d’hygiène et une qualité vraiment supérieure en termes aromatiques, avec plus de complexité et de finesse. Pour ce faire, le Gaec s’est offert un séchoir solaire : l’herbe est coupée mûre, préfanée puis stockée dans une grange équipée d’un toit à double paroi : l’une transparente pour laisser passer les rayons lumineux, l’autre sombre pour accumuler la chaleur, réinjectée ensuite sous les bottes de foin.
La fabrication a lieu tous les deux jours, à raison de 600 à 650 fromages. Un long processus : 6 à 8 heures de coagulation lactique, puis 16 heures au minimum d’emprésurage. Le caillé, sabré avec une lame, est ensuite moulé délicatement à la louche. Avant que ne commence la phase d’égouttage. Viendront ensuite les lavages réguliers, au marc de bourgogne, comme les prescrit l’AOC, qui impose un minimum de 29 jours d’affinage à partir de la traite pour que le fromage puisse avoir droit à l’appellation. Les Bartkowiez estiment, eux, l’affinage optimal à 6 semaines.