Paulette Marmottan, 56 ans, est aujourd’hui la dernière productrice de Persillé de Tignes, un généreux fromage montagnard au lait cru à la texture crayeuse en forme de cylindre. La seule et unique, car, lorsque le vieux village de Tignes, en Haute-Tarentaise, et plusieurs centaines d’hectares de pâturages ont été engloutis par les eaux du barrage hydroélectrique au début des années 1950, les quelques fromagers de la commune n’ont pas eu le courage ou la volonté de poursuivre leur activité, souvent très modeste, dans de nouvelles conditions. Il fallait pratiquement repartir de zéro et les chambres d’agriculture et banques orientaient plus volontiers à l’époque vers de nouveaux modèles plus productivistes.
<- Dans la cave d’affinage, les fromages tout juste démoulés séjournent une dizaine de jours : Paulette laisse à des affineurs, tels que les maisons Provent ou Paccard, le soin de les affiner jusqu’à plus de deux mois.
C’est à une dizaine de kilomètres plus bas, dans la vallée, en aval du barrage, que le père de Paulette a relancé, avec cinq ou six chèvres, la fabrication du persillé après l’engloutissement du Vieux Tignes. Sa fille lui prêtait main forte de temps en temps. Lorsqu’à son tour elle a pris la relève, en 1993, il lui a fallu maîtriser seule ce fromage délicat à fabriquer, nourri de laits de vache et de chèvre mélangé, au caractère fantasque, ne laissant son cœur bleuir qu’aux gré de ses humeurs et à l’allure résolument rustique.
<- En hiver, les cloches des vaches et chèvres sont remisées dans le chalet en attendant les beaux jours.
Situé à mi-pente, à 1 500 mètres d’altitude, à l’extérieur du village de la Savinaz, le chalet abrite une étable où une vingtaine de vaches laitières de race Montbéliarde et une centaine de chèvres, des Alpines aux couleurs bigarrées, passent tranquillement l’hiver. De juin à octobre, les vaches partent en montagne suivies par un atelier de traite mobile, tandis que les chèvres s’égayent toute la journée sur les pâtures communales sur le versant opposé. Les animaux vont ainsi monter jusque 2 500 mètres d’altitude. Elle s’enorgueillit d’ailleurs d’avoir décroché le premier prix national des prairies fleuries d’altitude en septembre 2011. La garantie, pour les fromages, d’une excellente matière première.
<- Les Alpines et Monbéliardes sont hébergées l’hiver sous le même toit. Les génisses, en attendant de pouvoir donner du lait, sont envoyées dans le Var en hiver et au printemps pour broûter les pare-feux et contribuer ainsi à la lutte anti-incendies.
Dans le petit atelier, la fabrication du persillé peut exiger près d’une semaine. Chaque jour, après avoir mélangé les laits de chèvre et de vache dans les proportions quasi identiques, la fermière fait cailler le lait dans un grand chaudron. Avant de plonger dans un baquet rempli de petit-lait les pains de caillé obtenus. Il lui faudra jusqu’à cinq jours pour obtenir la quantité nécessaire. Elle entreprend alors de mélanger les caillés successifs en les broyant, sale le tout dans la masse, puis procède au moulage. Depuis le tout début d’année 2013, Paulette utilise une mouleuse entièrement conçue par son fils pour lui épargner la pénibilité du moulage manuel.
<- Fin d’après-midi dans l’atelier. Au premier plan, le lait de la traite du soir qui sera mis à cailler le lendemain avec la traite du matin. Au second plan, le nouvel appareil à mouler et la table de moulage avec des fromages à l’égouttage.
« J’ai beaucoup de pratique et peu de théorie, résume la fermière. Je suis mon propre professeur et ma propre élève. » Elle s’est essayée à ses débuts au beaufort, à la tomme de Savoie, mais c’est finalement, avec le retour en grâce des vrais produits de terroir, le persillé qui est devenu le seul et unique objet de ses soins quotidiens (il se dit que Charlemagne en faisait déjà venir à sa table). "Je me devais de faire perdurer ce fromage", affirme avec cette fromagère persévérante, en espèrant bien que l’un de ses trois enfants reprendra à son tour le flambeau.
<- Un Persillé de Tignes pèse 1 à 1,2 kilo. Au fur et à mesure de l’affinage, se forme une croûte naturelle grisâtre. Il est désormais rare que des veinures bleues apparaissent spontanément au sein du fromage.
Paulette Marmottan est la dernière fabricante du Persillé de Tignes, un fromage qui a pourtant bien failli disparaître.